Je compare les mutuelles santéLes opticiens : premiers prescripteurs d'équipements optiques
Il faut d’abord comprendre que les opticiens ne voient pas les lunettes 100% santé d’un bon œil. Un opticien est un professionnel qui se situe à la frontière de deux mondes : le commerce et la santé. Et côté commerce, l’optique se situe sur une niche confortable. La profession réalise des taux de marge commerciale (Asset Kpmg, 2019) vertigineux sur les montures ou les verres grimpant à plus de 64%, alors que la moyenne nationale, tous secteurs confondus (hors activité immobilière) se situe entre 20 et 30% (Insee, 2017). Même si les prix restent confidentiels, les couts de fabrication sont bas et la revente chère. Le cout de fabrication d’un verre de lunettes standard se situe autour des 5 €. Les montures venues tout droit de pays asiatiques, importées pour les grandes enseignes sont aussi très bon marché et généralement revendues de deux à trois fois leur prix d’achat (source GfK Retail and Technology, 2019).
BON À SAVOIR Depuis le 1er février 2023, les orthoptistes, professionnels médicaux spécialisés dans la rééducation visuelle, ont également la possibilité de vous prescrire des lunettes de vue ou des lentilles correctrices. Cette mesure concerne les patients de 16 à 42 ans ne présentant aucune pathologie associée à un trouble de la réfraction.
Avec un bon système de remboursement, les clients ne font pas jouer la concurrence
Il semble que les Français se soient résignés au concept de lunettes chères, voire hors de prix. L’optique est un marché opaque où l’on observe des différences importantes de prix entre deux corrections identiques (UFC Que choisir, 2018). Ces différences ne sont pourtant ni techniques, ni qualitatives. La plupart du temps, le visiteur d’un magasin d’optique n’a aucune idée du prix réel de ce qu’il achète. Il se repose sur les prises en charge de l'Assurance Maladie et de sa mutuelle santé et les conseils de son opticien, quitte à payer un éventuel reste à charge. S’il est remboursé intégralement avec une bonne mutuelle, il aura toujours l’impression que les lunettes ne sont pas chères puisque qu’elles sont bien remboursées, au mieux, elles ne lui coutent rien ! Il ne ressentira pas le besoin de faire jouer la concurrence ou de s’offusquer d’un prix excessif.
Un marché porteur qui fait des émules !
De telles marges rendent le marché prospère. Les enseignes poussent d’ailleurs comme des champignons : 12441 opticiens en France en 2019, c’est une spécificité bien française. Ce grand nombre de magasins participe lui aussi à une augmentation des prix. Compte tenu de la concurrence, un opticien vend trois équipements par jour en moyenne. Il lui faut donc de fortes marges pour rentrer dans ses frais.
Pour un opticien, une vente 100% santé, c’est une vente rentable de perdue pour longtemps.
Il va sans dire que les opticiens ne réaliseront jamais une marge aussi impressionnante sur les lunettes 100% remboursées. Une vente 100% santé se fera fatalement au détriment d’équipements à forte rentabilité. De plus, cette vente se renouvellera au minimum une fois tous les deux ans. Une baisse de marge en perspective donc qui contrarie une profession jusque-là florissante.
Dernier recours des opticiens : déconseiller l’offre 100% santé à son client
Les opticiens, obligés par la loi à présenter des modèles 100% santé dans leurs rayons et à inclure une de ces offres dans leur devis n’ont plus qu’un recours : le dénigrement. Car in fine, l’assuré reste libre de choisir son équipement. Et puis, c’est un professionnel de santé, ses recommandations sur la qualité des équipements pèseront fortement sur la décision du client.
Depuis la mise en place de la réforme, plusieurs dérives de ce type ont été observées. L’offre est parfois bien présente sur le devis mais elle n’est pas expliquée et peu ou pas du tout valorisée.
Certains assurés se sont aussi trouvés dans des situations très déstabilisantes alors qu’ils souhaitaient en savoir plus sur l’offre 100% santé. Celle-ci a été présentée comme « un choix que l’on va regretter » ou « des verres de mauvaise qualité » comme l’illustrent assez bien les questions et témoignages sur le forum Ameli. Ces déclarations inquiètent les clients qui préfèrent alors opter pour des lunettes à tarif libre.
Face à l’augmentation de ces comportements, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) effectue des contrôles dans les magasins mais aussi auprès des clients. (source : les échos, 2021)
Bien sûr, ce n’est pas le cas de tous les opticiens. Beaucoup jouent le jeu et continuent à conseiller honnêtement leurs clients sur les choix qui leurs sont offerts : 100% santé ou tarifs libres.
Les lunettes 100% santé : réservées aux Français pauvres ?
Les opticiens ne sont pas les seuls responsables de ce démarrage difficile. Pour la réforme 100% santé, le gouvernement a fortement communiqué sur la fin du renoncement aux soins faute de moyens. Il n’en faut pas plus pour coller une étiquette « lunettes pour pauvres » peu engageante aux équipements 100% santé. Les opticiens s’engouffrent dans la brèche, le président de la FNOF (Fédération Nationale des Opticiens de France) parle même en 2021 de « mesure insultante pour les opticiens et stigmatisante pour le consommateur».
La réforme 100% santé augmente le reste à charge des équipements à tarif libre
Le gouvernement a décidé de concentrer l'effort de remboursement sur les lunettes 100 % santé et de minorer le remboursement des lunettes à tarif libre par les complémentaires santé. Pour exemple, le remboursement d’une monture par la mutuelle santé a été abaissé à 100 € au lieu de 150 €. Pour les adeptes du Panier B, entre 2019 et 2020 (le 100 % santé en optique est en place depuis un an déjà), le reste à charge a bondi de 40%. Mais pour les personnes ayant choisi le 100% santé, elles ont vu baisser de 35% leur dépense en optique.
Des résultats mitigés donc, ce qui est loin de plaire à ceux qui ont perdu en remboursement. C’est la réforme 100% santé qui est alors montrée du doigt avec une opération très simplifiée : des modèles bas de gamme entièrement remboursés = lunettes de qualité moins prises en charge.
Une communication gouvernementale discrète face à un marketing professionnel tonitruant
Le marché de l’optique est très présent en publicité. On y parle de paires de lunettes offertes, de verres exceptionnels, de performance technique et bien sûr de style. Dans un tel contexte, la discrète communication sur la réforme 100% santé sur les lunettes à 0-RAC a du mal à faire entendre sa voix. Une enquête BVA le démontre assez bien, en 2021 c’est près d’un Français sur deux qui ne connait pas la réforme 100% Santé. Un gros effort de communication et d’information de la part du gouvernement et des professionnels de l’optique reste donc à faire sur le sujet.
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